Un petit article sur les russes et les mines de bauxite en Guinée

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  • Antoine

    5 mars 2010

    L’article en lien est en espéranto. Comme tout le monde ne parle pas (encore) cette langue, j’ai traduit l’article ci-dessous…
    Antoine
    Les russes et „le petit bijou“ de Guinée

    « Cette expropriation est illégale ! » déclarait en colère le ministre russe des affaires étrangères, Serguei Lavrov. Le 10 septembre, la justice guinéenne a annulé la vente de l’usine de bauxite Friguia au moscovite Rusal, en raison d’un prix d’achat jugé trop faible. Ceci représente le dernier épisode de la bataille des employés contre l’entreprise, qui l’accusent de ne pas traiter ce lieu, le plus brillant de l’économie du pays, comme il convient, et en même temps de durcir au nom de la crise, les conditions de travail.

    Des arbres centenaires, des constructions au style colonial, un paysage densément arboré et verdoyant, et subitement, ainsi, en vraie dimension, l’image qui orne les billets de banque guinéens : les mines de bauxite de Fria, à deux heures de route au nord de Konakry. Trois bâtiments en béton, flanqués de milliers de balcons et presque autant d’antennes paraboliques : ces logements, construits par Pechiney pour ses travailleurs expatriés, marquent la présence de la France, quand le général De Gaulle, vexé par le refus des autochtones a pris subitement ses distances avec la Guinée en 1958. On peut y lire le slogan de Russki Alumini (Rusal), la firme russe qui a acheté ce « petit bijou » privilégié, fièrement affiché : « Responsabilité, Fiabilité, Compétence ».
    Au huitième étage, Mr Bakary Kourouma décroche du mur des peintures. Petit cadeau de la firme, donné à l’occasion de la Fête des Métallurgistes, ce « diplôme honorifique » récompense l’employé « pour les services rendus au département et pour la contribution au développement de la fabrication ». Il perçoit environ 900.000 francs guinéens (120€) pour diriger la centrale électrique et l’approvisionnement en eau de la ville, qui dépendent entièrement de la firme. Mais, corrige-t-il, si on calcule bien – « pour papa, 200.000 francs, pour maman 100.000 francs ; 100.000 pour ma sœur et mon frère, 50.000 pour téléphoner, 50.000 pour la moto-taxi pour venir au boulot … » -, il perçoit seulement 15€ par mois … Mr Kourouma travaille sous les ordres de cadres, qui logent dans une grande villa visible de son balcon. L’enceinte en fil de fer barbelé protège, outre 40 expatriés russophones, aussi une piscine.
    60 années auparavant, il n’y avait ici que quelques maisonnettes d’un village aujourd’hui disparu, Kimbo. Il a été remplacé par une ville de 60.000 habitants organisée autour de la « première fabrique d’aluminium d’Afrique ».

    Ville industrielle dans le style européen
    Au début de l’année 1957, la compagnie Fria a été fondée avec la participation de firmes américaines, françaises, britanniques, suisses et allemandes. Toutefois, la responsabilité de la construction et de l’exploitation a été entièrement attribuée à la société Péchiney. En 1973, Fria est devenue la société d’économie mixte Friguia, avec l’état guinéen comme actionnaire principal (51%). Péchiney a complètement abandonné l’entreprise en 1997, la laissant à l’Etat pour le prix symbolique de un dollar. Il y a six ans, l’usine, privatisée, était vendue à Rusal.
    Sous un quasi-brouillard de poudre de bauxite, Fria ressemble à une ville-usine européenne, avec ses quartiers de travailleurs hiérarchisés selon leur niveau de qualification, ses hauts-fourneaux et ses « bâtiments sociaux » – stades, maisons des jeunes, piscines – expressions de « patronage » vitrine de la plus fameuse firme d’aluminium Française Péchiney. On estime que la Guinée possède environ 16 milliards de tonnes de bauxite, ce qui représente le tiers des réserves mondiales connues de ce minerai. Suffisamment pour assurer, au rythme actuel, 16 siècles de production … Ceci représente, en 2009, avec le fer, les diamants et l’or, 20% du produit intérieur brut (PIB) du pays, et 80% des exportations.

    En raison de la chute des prix en automne 2008, les 1200 travailleurs – et les 1600 salariés des sociétés sous-traitantes – affrontent le refus de la direction de remplacer certaines machines « on assure la continuité de la production en interchangeant des pièces d’une machine à l’autre, raconte un travailleur » . Les fournisseurs ont accumulé tant de factures impayées qu’ils ont suspendu leurs livraisons. La direction, prétextant la crise, refuse aussi toute augmentation de salaire, et elle est une des dernières entreprises minières de Guinée qui n’applique pas le minimum salarial du pays (330€).
    Les employés sont incités à « devenir responsables », on peut lire dans le bulletin hebdomadaire de la firme, la Voix de Rusal, (mai 2008) : « Si chacun assumait sa responsabilité, notre firme se porterait mieux et fonctionnerait parfaitement ». Au lieu de se plaindre de la détérioration de l’outil industriel et de l’autisme des russes qui vivent entre eux et « éloignent les guinéens des postes à responsabilité », les ouvriers devraient, d’après la gazette, se demander : « Que puis-je faire pour aider l’usine en ces temps difficiles ? Qu’ai-je fait personnellement pour la réduction des coûts, pour l’amélioration de la productivité ? »
    Un an auparavant, en réaction aux manifestants, qui reprochaient à la firme les pannes de courant à répétition dans la ville, Rusal a même organisé un concours de dessin pour les enfants sur le sujet : «J’apprends à économiser le courant » … Ceci ne trompe personne. Mr Ibrahima Diallo Taribe, ancien travailleur formé chez Péchiney, et aujourd’hui chef de gare, dit que bien qu’il ne connaisse pas les mécanismes mondiaux de l’aluminium, il n’avait pas prévu qu’en 2008 Rusal deviendrait la seconde entreprise mondiale dans ce secteur. Son employeur, Mr Oleg Deripaska, au dixième rang des plus riches en Russie, est un proche de Vladimir Putin.
    Sous sa veste de sécurité orange, Mr Gennadij Uljanich, chargé de la communication, porte la chemise de l’ethnie Peul. Il faut un peu de « folklore » pour faire passer la pilule amère de la « crise ». Dans son bureau, face à la photo de ses enfants restés en Ukraine, il peaufine La Voix de Rusal, digne héritage du Bulletin Péchiney.

    Entre deux relectures de contrôle des articles qu’il doit systématiquement envoyer à Moscou pour validation, il confesse son malaise : « A Moscou, ils n’ont pas conscience qu’ici il y a des chefs de famille en grande difficulté, que chaque travailleur doit faire manger des dizaines de bouches ». Il confie entre fierté et inquiétude : « Les Guinéens m’ont dit que quand ils m’expulseront, je serai l’unique pour lequel ils auront de la compassion ». Et le cadre ukrainien suppose que « les chinois » remplaceront Rusal.

    Début avril 2009, les travailleurs de Friguia ont décidé de faire grève. Ils ont fait appel au capitaine Moussa Dadis Camara, qui a remplacé le défunt président Lansana Conté à la suite du putsch de décembre 2008. Les travailleurs ont expulsé de Fria la direction de Rusal. Le capitaine Camara a sermonné l’entreprise, en exigeant toutefois que les employés retournent au travail. Au début de juin, les plus bas salaires de Rusal ont été revalorisé à 40 euros, mais la firme refuse toujours d’appliquer le salaire minimal.
    Dans la cour du « quartier des célibataires », un ensemble de constructions avec de petites chambres en piteux état équipées de lavabos, une dizaine d’employés enfreignent l’interdiction de la direction de parler aux journalistes. Que se soit les travailleurs manuels ou les employés de sociétés sous-traitantes, les ingénieurs ou les agents de sécurité, ils ne se trompent pas sur les « efforts », qu’on veut leur imposer, sous prétexte de crise mondiale : « Les russes exigent, que nous vivions mal pour que la firme reste. Ceci est du chantage ! ».

    « En venant, ils ont promis aux habitants qu’ils conserveraient tous les avantages, se souvient Mr Mamadi Lourouma, membre de la Confédération Guinéenne des Syndicats Libres, majoritaire dans l’usine. Mais on n’entend parler que de réduction des coûts. Auparavant, nos logements étaient pris en charge par la société, il n’y avait pas de coupures de courant et nous pouvions acheter à manger à bon marché à la coopérative ouvrière. » Cet employé de 29 ans, bien qu’il n’ait connu que la fin de l’époque Péchiney, exprime l’idéal de l’entreprise Française.
    Les nombreux « avantages » qu’ont hérités les habitants sont de divers ordres : ils disposent d’un tout nouveau centre scolaire, mais les équipements sportifs (stade, piscine, salle d’athlétisme) sont vieux ; l’eau et l’électricité, gratuits auparavant, sont contingentés ; le jardin d’enfants a fermé ; le service de transport des missionnaires et des familles vers Konakry a été confié à des sociétés en sous-traitance ; « l’hôpital Péchiney », comme le nomment les habitants, longtemps reconnu comme le meilleur de Guinée, n’a dorénavant qu’un budget réduit et n’est plus systématiquement approvisionné en médicaments. Au contraire, les logements ne sont plus gratuits.

    Face au renchérissement de l’essence et de la nourriture, les habitants de Fria ont organisé au début de mars 2009, une marche de soutien au régime putchiste qui promet de « lutter contre la corruption » et « renégocier chaque contrat minier ». L’ombre de l’ex-président, fossoyeur de l’économie du pays – ses fils étaient à la tête de vastes réseaux de drogue, de corruption et de prostitution, plane au dessus de ce qu’on nomme « l’affaire Fria », bon exemple de la « braderie » des richesses nationales aux groupes étrangers, qui prospèrent dans un pays que ses habitants qualifient de « scandale géologique ».

    Au centre des reproches populaires : le prix d’achat de la fabrique (environ 14 millions d’euros) offert par Rusal en 2003, alors que certaines agences de contrôle l’estimaient à 175 millions d’euros. Le 10 septembre, le tribunal de première instance de Konakry a invalidé la vente, mais Rusal peut faire appel, soutenu par Moscou, ou essayer de négocier.

    Nostalgie d’une époque révolue

    Monsieur Ravel Ovchinnikov, le directeur, nie qu’il veut fermer l’usine, en soulignant toutefois que « la consommation d’aluminium dans le monde a atteint son plus bas niveau depuis vingt ans ». Il se souvient que la Russie s’est toujours conduite comme un partenaire fiable en ce qui concerne le développement économique des pays africains. Il raconte volontiers que dans les années qui suivirent l’indépendance, Moscou et Pékin ont exploré le sous-sol du frère guinéen, collaborant sur les terrains universitaires et commerciaux, donnant même au pays … des chasse-neiges comme gage de l’amitié russo-guinéenne, alors que Sekou Touré, qui a reçu le prix Lénine de la paix en 1961 a envoyé à Moscou les artistes des Ballets Africains. Quarante ans plus tard, les russes sont toujours affairés à l’exploitation de vastes couches de bauxite à Kindia, en Basse Guinée, par l’intermédiaire de la Compagnie de Bauxite de Kindia (BKK).
    A « l’hôpital Péchiney », Monsieur Alpha Hassimiou Diallo, médecin-chef, se défend. « Il est nécessaire de faire des économies », pense ce médecin, qui par son expérience dans des hôpitaux parisiens a l’habitude des discours sur la réduction des coûts. « Aussi chez vous, on commence par ne plus rembourser certains médicaments, n’est-ce pas ? ». D’après lui l’expression « hôpital mouroir » n’est pas fondée et exprime uniquement la nostalgie d’une époque révolue. « Ici, 100% des coûts sont pris en charge par Rusal. C’est un hôpital pour les travailleurs et leurs familles, mais les autres habitants viennent d’avantage, car c’est le centre de soins qui a la meilleure réputation de Guinée. » Toutefois, le groupe russe n’a pas rénové les équipements hospitaliers depuis 2007.

    Crise ou non, à Fria les trains de bauxite partent chaque jour pour Konakry. Quand les convois sifflent dans la capitale, les vieux, debouts, regardent avec admiration les seules voies ferrées encore en service, avant de saluer les richesses nationales qui leur filent sous le nez. Les jeunes guinéens (60 % des habitants) ferment leurs oreilles et regardent par défi les wagons – qui les submergent sous des brouillards de poudre blanche. Le long de la voie, à Konakry, l’aluminium colle à la peau des habitants. Il scelle 51 ans d’indépendance de l’unique pays qui a eu le courage de dire « non » à la France, et dont on dit qu’il est le seul à rester à l’extérieur du réseau de la Françafrique. Le long de la voie, d’immenses panneaux publicitaires simplement rappellent le slogan du passé : « Rusal : pour la Guinée, avec la Guinée ».

  • mamadi4

    9 mars 2010

    Antoine « ini ké » = Merci Antoine